La première journée de l’amour est
inconcevablement abrupte ; entièrement faite
de choses arrachées -
- soudain et haut ;
et du jour qui s’élance
en travers de son axe.
La deuxième journée mêle
au pain et aux fruits du matin
la clarté des orages ;
la millième nous apprend
la solitude
l’indifférence de l’eau.
La trente millième nous enseigne
la couleur des vêtements
qu’il faut porter -
- en plus des diverses choses
bonnes à dire, à nier ou à taire
en toute occasion.
La dernière journée de l’amour
peut être n’importe laquelle
y compris la présente ;
elle pousse soudain le grille-pain
dans l’eau de vaisselle.
Son éclair bleuit l’acier.
Nos âmes
ou ce que nous appelons ainsi
éclatent comme des bulles.
Elles sentent le fer chaud
le plastique. Ça grésille deux secondes
puis ça s’arrête.
Pendant ce temps on se rappelle
ce que l’amour nous demandait, le peu
que nous lui accordions -
- nous rendant dès lors, comme des hommes
et des femmes sans mémoire, indignes
de lui et malades de nous.
René Lapierre, « Le 13 avril 1959, juste avant d’aller au lit » (extrait), Les adieux, Les Herbes rouges, 2017.