Le 13 avril 1959, juste avant d’aller au lit

La première journée de l’amour est

inconcevablement abrupte ; entièrement faite

de choses arrachées -

 

- soudain et haut ;

et du jour qui s’élance

en travers de son axe.

 

 

 

La deuxième journée mêle

au pain et aux fruits du matin

la clarté des orages ;

 

la millième nous apprend

la solitude

l’indifférence de l’eau.

 

 

 

La trente millième nous enseigne

la couleur des vêtements

qu’il faut porter -

 

- en plus des diverses choses

bonnes à dire, à nier ou à taire

en toute occasion.

 

 

 

La dernière journée de l’amour

peut être n’importe laquelle

y compris la présente ;

 

elle pousse soudain le grille-pain

dans l’eau de vaisselle.

Son éclair bleuit l’acier.

 

 

 

Nos âmes

ou ce que nous appelons ainsi

éclatent comme des bulles.

 

Elles sentent le fer chaud

le plastique. Ça grésille deux secondes

puis ça s’arrête.

 

 

 

Pendant ce temps on se rappelle

ce que l’amour nous demandait, le peu

que nous lui accordions -

 

- nous rendant dès lors, comme des hommes

et des femmes sans mémoire, indignes

de lui et malades de nous. 

Référence bibliographique

René Lapierre, « Le 13 avril 1959, juste avant d’aller au lit » (extrait), Les adieux, Les Herbes rouges, 2017. 

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